Le peintre et dessinateur Abidin Dino (« Abidine »), né en 1913 à Istanbul dans une famille de pachas, reçoit une éducation soignée dans sa ville natale, ainsi qu’à Paris et en Suisse où il acquiert une fine maîtrise de la langue française. La ruine de sa famille l’oblige à travailler dès l’adolescence à Istanbul où il s’ouvre aux idées marxistes et devient militant communiste. Il vend des caricatures, fonde en 1933 le « Groupe D » qui rassemble les premiers peintres turcs d’avant-garde puis, à l’invitation du réalisateur Sergej Yutkevic qui l’a rencontré à Istanbul, part en 1934 pour Leningrad où il travaille pendant trois ans comme décorateur de cinéma et se lie notamment avec Eisenstein.
Après un bref passage en 1938 à Paris, où il fait la connaissance de Tristan Tzara, Picasso et Gertrude Stein, il est de retour à Istanbul, où il loue sous les toits du célèbre immeuble Camondo un atelier qu’il baptise « Fabrique de poésie et de peinture » et qu’il ouvre à ses nombreux amis artistes, parmi lesquels le nouvelliste Sait Faik et le trio, formé de Orhan Veli, Melih Cevdet Anday et Oktay Rifat, qui lance dans ces murs sa fameuse conception « Étrange » (Garip) de la poésie.
Mais ses prises de position politiques lui valent d’être envoyé en résidence surveillée de 1941 à 1947 en Anatolie, surtout à Adana, ville dont son grand-père avait été gouverneur et où il épouse en 1943 une jeune universitaire francophone, Güzin İkel, elle aussi de souche ottomane, qu’il a rencontrée quelques années plus tôt à Istanbul. Il habite ensuite à Ankara mais se trouve de nouveau contraint à l’exil. Il part en 1951 pour Rome puis, en 1952, s’installe définitivement à Paris, où Güzin le rejoindra bientôt et où il s’éteindra le 7 décembre 1993 à l’âge de 80 ans.
À Paris, il se lie avec le milieu littéraire et artistique communiste, notamment avec Aragon et Elsa Triolet, entre en relation avec Prévert, Soupault et d’autres, retrouve Picasso, travaille avec lui et Chagall à Vallauris, expose en 1955 à la galerie Kléber et la même année à Saint-Paul-de-Vence, acquiert une notoriété certaine. Il s’attache aussi avec Güzin Dino — avec aussi l’appui, notamment, de Ferit Edgü, écrivain et critique d’art francophone — à faire connaître en France les artistes et intellectuels turcs, en particulier le romancier Yaşar Kemal, dont ils ont encouragé les débuts à Adana, et les poètes Melih Cevdet Anday, İlhan Berk et, lorsqu’il sort enfin des prisons turques, Nâzım Hikmet, leur ami de toujours.
Ces dessins offrent un chemin de lecture parallèle, en résonance avec les poèmes : le peintre et dessinateur Abidin Dino fut le contemporain et l’ami très proche de nombreux poètes, en particulier Nâzım Hikmet et Orhan Veli, pour s’en tenir aux turcs.
_J’ai vu la mer