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Bleu autour

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© Luc Baptiste

Le journal La Gueule ouverte publiait chaque semaine, c’était dans les années 70, des articles sur les pénuries en eau, la destruction des sols, la pollution atmosphérique, celle des mers, les ravages sur la santé, l’anéantissement de la biodiversité, l’atrocité des conditions animales, la dangerosité du nucléaire, la surpopulation, les transformations climatiques qui allaient venir… Le sous-titre de La Gueule ouverte, c’était Le journal qui annonce la fin du monde. Une grande partie de ce qui effraie aujourd’hui était formulée dès la fin des années 70. À l’époque, il y avait peu de monde pour l’entendre ; il était facile de dire qu’on ne savait pas.
Aujourd’hui on sait. Il y a eu Tchernobyl, il y a eu Fukushima. Des incendies ravagent les forêts d’un bout à l’autre de la Terre. Les nappes phréatiques sont polluées, souvent irrémédiablement. En bien des endroits du monde, l’air est irrespirable. Dans les mers, le plastique et les résidus chimiques empoisonnent la vie. L’agro-industrie gave les sols et les cours d’eau de substances mortifères. Les insectes, les oiseaux, les batraciens, les petits mammifères disparaissent. On artificialise les sols à tout-va. On s’acharne.
Aujourd’hui tout le monde sait ; et rien ne change. On prolonge le glyphosate, on réintroduit les néonicotinoïdes, on efface en douce les moindres avancées réglementaires, on va relancer l’industrie nucléaire. On s’efforce de faire comme si de rien n’était. On fait le contraire de ce qu’on dit. On laisse les mains libres aux lobbies industriels, ils écrivent les textes réglementaires. On sait pourtant qu’il faudrait changer si l’on veut que nos enfants puissent vivre, si l’on veut que la terre reste habitable. On les regarde, les enfants ; on se demande de quoi leur vie sera faite. En réalité, on sait ce qu’on leur lègue ; et puis on oublie, on pense à autre chose.
Il se répète que l’écologie ne doit pas être « punitive  » ; autrement dit, en toute stupidité, on se donne pour acquis qu’on peut continuer à consommer sans considération pour quoi que ce soit et pour qui que ce soit, à polluer, à salir, à détruire, à saccager. Pas d’écologie, donc, puisqu’elle serait « punitive », mais on veut bien du « développement durable » — on en met partout, on en tartine partout, dans les écoles mêmes ; tout le monde est pour. Le parti socialiste, parti dominant de la fin du siècle passé, a ignoré la question écologique, n’en a jamais saisi l’urgence, n’a rien compris à ce qui nous arrivait. Il est totalement et définitivement déconsidéré. Le prince au pouvoir aujourd’hui, descendant de ce parti, poursuit sur le même chemin. Il aurait pu être le grand président du tournant écologique, il aurait pu être le premier.
Traduire les gouvernants devant des juridictions pour juger de leurs actions et de leur inaction, il se pourrait que cela advienne dans l’avenir, quand il n’y aura plus d’insectes pollinisateurs, quand il n’y aura plus du tout de poissons dans les mers, quand les forêts auront toutes été dévastées, quand les canicules et les manques d’eau auront réduit considérablement la surface habitable sur la terre, quand nos enfants prendront la mesure de ce que, en toute connaissance de cause, nous avons fait de notre monde. Il serait souhaitable que la menace existe, qu’elle pèse sur la tête des décideurs politiques et économiques.
Et qu’elle pèse sur la nôtre. Car ce sont, plus que nos bulletins de vote les jours d’élection, les choix que nous faisons dans tous les instants de nos vies qui font advenir des princes qui n’ont rien à faire des mers, des sols, des forêts, des animaux, de l’humanité donc.

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